Diverses traductions







Feuilleter



Il est doux de feuilleter
Le psautier des nuits de veille,
De chercher dans l’obscurité
L’éclat des lettrines de paix.

Est-ce la lune et les étoiles,
L’oméga, l’ardent liseré d’un nuage,
Là-haut une branche enneigée,
Une brume au-dessus du champ

Où l’alpha des sentiers
S'éveille par vagues sans bruit,
Lumineuse lettrine,
Réminiscence de l’hiver.




Bohuslav Reynek 










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La rencontre



Je vis loin de toi.
Dans un autre espace
nous parcourons la même route
au même moment.
Nerveuse,
je passe dans ta rue,
désireuse de te voir,
effrayée par ton ombre.
Nord-Sud -
c'est ici que je dois te rencontrer
selon la pointe de mon compas.
Et pourtant, aveugle,
je poursuis le soleil.
Est-Ouest,
jour et nuit
ne cessent de se transformer.
Je ne les compte même plus.
J'espère te rencontrer.




Elizabeta Bakovska










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Trente



Pour aimer l’hibiscus, il faut d’abord aimer la mousson,
l’alphabet silencieux que ton frère et toi avez inventé
pour empêcher votre mère de partir. Je ne te l’ai jamais dit –
parfois je me rends à Bloomingdale dans le simple but
de me tenir sous les lumières majestueuses, de voir
briller, au fond de l'eau, les anneaux sertis de diamants.
Même si l’océan est à des kilomètres d’ici, je suis heureuse,
enclavée, sèche comme un lézard. Des décennies me séparent
de cette cleptomanie, le portefeuille de Baba, un bracelet d’or
oublié dans l’évier d’une salle de bain. Tous les vendredis,
je me sens encore coupable. Je garde les dix-sept maisons.
Je garde les dents de lait. Quand j’étais bien plus jeune, lors
d’un dîner au Moyen-Orient, j'ai entendu une femme soupirer :
Trente ans, mon chéri. Peux-tu le croire ? Moi, je ne pouvais pas.
Je ne peux pas. Quelqu’un est mort. Ça s’est passé un jour.
Je me suis gavée de crème glacée jusqu’à me rendre malade et
jusqu’à ce que ma mère mente au sujet de sa propre mère.
Marie-toi ou brûle ; dans les deux cas tu te transfigures.




Hala Alyan










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Tragédie



Le tigre accomplit son voyage en un jour
Sur de nombreuses distances.
Parfois, vers le soir, il se nourrit
En un lieu étranger.

Les barreaux de fer : tout ce qui,
Derrière eux, passe et s'attarde
Est cri et piqûre et terne hiver glacé,
Seulement rêvé.

Il se faufile chez lui : cela fait longtemps 
Qu'il a dû désapprendre le langage familier.
La cage sursaute et flaire son éloignement 
Et se hâte à sa suite.

Il jette une flamme plus claire
De sa douleur aveugle, qu'il ne nomme pas.
Rien qu'une chandelle d'or rayée de suie,
Qui scintillante se consume à mort.




Gertrud Kolmar










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Même quand il part en quête de noms



Comme lorsqu'on frappe un fer à cheval
et que l'enclume, le sol, la forge tout entière se mettent à trembler
et qu'un homme au-delà des collines se retourne,
Qu'est-ce ? Qu'est-ce que cela ? dit-il.
Même quand il part en quête de noms,
les arbres répondent, suivant le fil
de la lame d'un couteau ;
l'homme les entend
dans le demi-cercle de fer ;
et cherchant à tâtons le cœur des choses,
il effleure une petite flaque d'eau noire,
comme extraite d'un morceau de quartz.
Des noms ! Là, à l'intérieur,
là se trouve le cristal
et une fille qui bat du plâtre
de son marteau, parce que le mur ne peut pas s'effondrer,
les mots de la traduction tombent
un à un dans le chaudron de l'époque,
la poussière, l'ivraie, et les dents,
laissons la Vie finir où elle n'a pas commencé,
ne laissons pas les sépultures s'étendre au-delà
des jardins suspendus.




Sylva Fischerová











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La fourmi



La fourmi s'accroche aux objets avec ténacité.

Elle avance lentement, se déplaçant avec eux, 

comme l'invisible se déplace dans le monde visible.


Un cheveu pour un brin d'herbe. Un scarabée pour un grain de blé. De trace en trace.  

Ainsi grandit ce qu'on appelle notre maison.

La frontière entre la sécurité du tunnel et l'espace insoutenable. 


Elle revient de plus en plus loin, toujours par les mêmes chemins.

Elle n'apporte avec elle ni messages, ni prophéties.

Un point final à une phrase de plus en plus complexe.


Et il n'existe pas de mot pour nommer ce qu'elle est.

Quand elle disparaît dans son labyrinthe, seul demeure cet espoir

Qu'il existe au moins des mots pour nommer ce qu'elle n'est pas.





Aleš Šteger











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La pierre



La pierre ne bouge pas.
En son lieu exact,
elle demeure.
Sa laideur se concentre ici, au milieu du chemin,
où tout le monde trébuche
et elle est, comme le cœur qui ne se livre pas,
de même épaisseur que la mort.

Seul celui qui sait voir jouit de l'ordre
que soutient la pierre.
C'est seulement dans son œil pur à lui
que son être est justifié, qu'il resplendit.
Sa bouche est la seule à chanter ses louanges.

Elle, elle ne comprend rien. Elle obéit.




Rosario Castellanos










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En ce monde
L'amour est incolore -
Mais si profonde
Est son empreinte
Dans nos corps




Izumi Shikibu


Composition réalisée grâce aux traductions de Jane Hirshfield, Mariko Aratani et Fumi Yosano.










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La Sibylle de Cumes 



J'ai vu des bourgeons
disparaître au comble d'une intime douceur ;
peut-être les messages étaient-ils redondants
et les lèvres dissoutes
longtemps diluées dans la voix, 
dans le cri, peut-être, de leur propre vie ; 
je scrutais la pupille vide d'elle-même,
l'aimant tremblant, appauvri,
attirer les silhouettes délirantes.
C'est ainsi, sur une forme déjà étendue 
dans l'étreinte sûre de l'intuition, 
que s'effondre la longue pause ultime
qui empoisonne de mort l'aventure.



Alda Merini










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Les vagues



Les vagues
Qui composent de grands dauphins
Mais aussi des voiliers improbables
Voguant vers l'horizon
Allument des taches de lumière
Sur leurs propres forêts
Leurs propres montagnes convulsées
Avec leurs eaux noires
Et fatiguées




Vitězslav Nezval










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Les lettres d'amour de ma grand-mère



Pas d'étoiles ce soir,
Sinon celles de la mémoire.
Pourtant, quelle place il y a pour la mémoire
Dans le corset défait d’une pluie légère.

Il y a même assez d’espace
Pour les lettres de ma grand-mère,
Elizabeth,
Elles qui sont si longtemps restées tassées
Dans un coin du grenier,
Qu'elles sont devenues lisses et brunes,
Et près de fondre comme neige.

Sur la grandeur d'un tel espace
On doit marcher à pas feutrés.
Tout entier suspendu par un invisible cheveu blanc,
Il tremble comme les branches d'un bouleau
Qui étendent leur toile dans les airs.

Et je m'interroge :

« Tes doigts sont-ils assez longs
Pour appuyer sur de vieilles touches 
Qui sont autant d'échos :
Le silence est-il assez fort
Pour ramener la musique à sa source
Puis de nouveau à toi
Comme si c'était vers elle ? »

Cependant je prendrais ma grand-mère par la main
Pour la conduire à travers de nombreuses choses
Qu'elle ne comprendrait pas ;
C'est pourquoi je trébuche. Et la pluie ne cesse pas sur le toit
D’émettre un rire plein de douce compassion.




Hart Crane











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Arianna



Tu avais l'air de courir
entre les pots de peinture et les pinceaux,
comme dans un tableau du Caravage 
traversé par la lumière qui coupe la pièce et tire les fleurs 
de nulle part.
Le plafond est fini maintenant,
et même la maison.
Ils ont emporté les échelles et les bâches. Arianna
lit une lettre à la fenêtre.
Diana renverse le tiroir, à la recherche 
d'une minuscule boucle d'oreille. Gea
déterre la boîte pleine de photographies, 
et la nettoie de ses mains nues.
Tu es vêtue de vert,
la couleur que tu ne pouvais pas supporter, 
tu as changé de henné, de parfum,
et enfin les jours passent
comme une forêt de plumes.




Laura Fusco 










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Herbes menues     sur la rive     une brise
le mât vacille     solitaire     une barque de nuit
s'ouvre la plaine     aux étoiles     suspendre
et la lune surgit     soulève les eaux du fleuve

Comment     laisser par ses écrits     un nom ?
Vieux et malade     le Mandarin     s'efface
flottant     flottant     à quoi donc     ressembler
entre ciel et terre     une mouette des sables




Du Fu
En m'appuyant sur une traduction littérale de François Cheng.










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Prague pour l'arrivant



Personne ne m'a dit comment vivre et quand il vaut mieux
boire la ciguë
de quelle main et pour célébrer quel saint

Personne ne m'a dit comment marcher dans la ville nocturne
pour ne pas entendre les pleurs
les pleurs incessants des réverbères et des portes de tramway
qui forment des fissures entre les gens
comme la plus haute corde du violon
tendue de l'infini à l'infini

Prague est une grande pierre de taille froide quand tombe
la nuit et cette nuit est sous la pierre
je marche tout près d'elle au-dessus en-dessous
les gens parlent ils sont sûrs d'eux
comme les cygnes sur la Vltava
au petit-déjeuner

mais personne ne m'a dit comment marcher
au bord de la pierre
de quel angle tomber
de quel angle prendre les os creux des oiseaux
avec ces os creux nous nous sommes fait des syrinx

et nous jouons sur le quai
même si personne ne nous a dit
que la syrinx existe et que nous sommes ensemble
et qu'assembler tout cela est beau
que Prague est un grand antidote dilué par la Vltava
se répandant comme le drapeau présidentiel sur le Château
que la ville disparaît quelquefois comme lui

il est grand temps de prendre conscience de qui nous sommes
et comme l'amour est loin



Sylva Fischerová 



















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Viens ici en vacances, comme le vent
qui secoue l'été, emporte l'eau 
des fontaines dans l'air avec la pluie.  
Les lueurs du rire dissimulées dans le souffle
m'atteignent en plein visage.
Retiens-moi comme tu veux, et mon nom
échange-le avec toutes les villes du rivage.
Partageons, nous aussi, cette confusion.
Le temps que dure une étreinte
un instant trop longue ou trop brève
cette joie soudaine comme une voleuse
qui se plante au centre de la douleur 
enlace tandis même qu'il libère les mains.




Isabella Leardini, Cantare del mattino.










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Le soir un paysage magique



Le soir un paysage magique
Baigné
Dans des lacs noirs
Bordé
De chemins vides aux lisières
Inspirera toujours
Les étoiles
Avec à l'automne
Le merveilleux éblouissement
De deux yeux invisibles




Vitězslav Nezval, Décalcomanie.










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Ainsi soit-il



Le jour est derrière nous,
à peine consumé et déjà inutile. 
Commence la grande lumière,
toutes les portes cèdent à un homme 
endormi,
le temps est un arbre qui ne cesse de croître.

Le temps,
la grande porte entr'ouverte,
l'astre aveuglant.

Ce n'est guère par les yeux qu'on voit naître
cette goutte de lumière qui sera,
qui fut un jour.

Sans hâte, l'abeille chante, 
parcourt le labyrinthe illuminé, 
en fête.

Respire et chante.
Où tout finit, elle ouvre ses ailes.
Tu es le soleil,
le dard de l'aube,
le baiser de la mer 
sur les montagnes,
la clarté totale,
le rêve.




Blanca Varela










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Le plus intime des rêves s'éloigne, inassouvi.
      Le paradis que nous poursuivons
      Comme l'abeille de juin
      Devant l'écolier
      Invite à la course ;
      Se penche sur un trèfle accessible -
Plonge - s'évade - taquine - se déploie -
      Puis en direction des nuages royaux
      Élève sa frêle chaloupe
      Insoucieuse du garçon
Qui regarde, interdit, le ciel moqueur.

Nostalgique du miel incessant,
Ah, elle ne vole pas l'abeille
Qui infuse cette variété rare.




Emily Dickinson










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Je suis née les poings serrés
et les poings serrés
je demeure pour faire obstacle aux saisons.
Je voudrais pouvoir m'en aller avec l'air
comme les touristes qui légers s'agitent
dans le calme soir de l'été. 
Mais la pression se relâche, dans mes cheveux
je recueille toute la pluie qui ne tombe pas
et quand les feux deviennent fous je pleure
contre les lignes brûlantes des destins
comme le dernier rugissement sans lumière.




Isabella Leardini 









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Dona lacrimarum



Et les larmes, que lisent-elles ? Quels livres ?
Sont-ce des larmes déçues
qui se contentent de feuilleter au hasard ?
Sont-ce des larmes qui se reconnaissent
dans un seul vers
et gardent la nostalgie d'un second ?
Sont-ce des larmes 
qui parlent toutes seules
et referment ainsi toutes ces pages muettes ?



Vladimír Holan










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À Metka



Si je mets le feu à la charpente blanche de la maison, la flamme
sera-t-elle plus claire que le poids qui tombe de nos corps ?
Plus claire que la samba ? Plus que ma tête juteuse ?
Je suis entouré de neige. Tu danses. Sous les arbres

immenses et verdoyants avec tes tristes yeux juteux.
Nous écoutons les rimes et les pantoufles des pinceaux.
Les prés où se distingue la mousse et ce qui, sous la mousse,
Se mêle. Un lynx blanc grattant une gorge d'un vert sombre.

Le ciel s'arrête-t-il jamais pour bruisser ? Où reposes-tu ?
Dans l'avalanche ou sur la terre ? Je me gave ici, je me gave,
j'engraisse pour ne pas être déchiré sur les hauteurs

par les nuages, roses, bleus, violets, et les fleurs,
comme Tiepolo, derrière qui l'air se purifie,
avant que la lumière diluvienne ne nous écrase.




Tomaž Šalamun










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Dépression nerveuse : excès de réel



Un insupportable besoin de disparaître,
de me volatiliser, mais où ?

J'ai marché sur la neige
J'ai laissé des traces
On m'a pourchassée comme un yéti
puis visée comme une bête curieuse.

J'ai hurlé dans mes cauchemars
sans pouvoir me réveiller.

Trop épuisée par le réel, peut-être
ai-je nourri un penchant pour la mort
ou simplement une envie de devenir
symbolique.




Kata Kulavkova










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Je ne sais pas où tu t'en retournes,
dans quels regards, 
dans quelles maisons tu t'abrites. 
Je demeure ici comme la poussière
qui l'hiver reste endormie.  
Mon vol, tout en variant, se répète
et devient fou après que les tempêtes
me font tomber encore, un peu plus fort,
tandis que le temps marque mes mains,
ouvertes, fermées, plus dures.
Dans cette maison serrée comme un poing
sur le feu de l'été, et mon élévation.



Isabella Leardini










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Le dieu de l'enfance



Il y a un pré où poussent de vieux
                                            pissenlits blancs,
que nulle force humaine ne pourrait
éradiquer tout à fait.
Les bâtiments monotones des dortoirs se trouvent là,
                                       les portes rapprochées,
                                       le mouchard de gardien,
                                       les tuiles jaunes et rouges :
les commencements engloutis, et aucune fin à l'horizon.
Quand je me retourne, mon défunt père 
est allongé dans le pré où poussent les vieux pissenlits,
le corps monstrueux de l'enfance pesant sur lui :
    Oui, c'était sa mère,
    voilà une sœur âgée,
    et le vent qui souffle par blanches bouffées
    sur le cadavre, c'est moi
    dans ma robe à pois
    avec un sac de petite fille
    piétinant une main, une jambe,
    une épaule.
C'est mon cimetière.
J'y viens souvent
sans fleurs, qui s'élèvent à une effroyable
vitesse, c'est leur boulot,
vieillissant, blanchissant, de plus en plus loufoques.
Elles attendent le vent que souffle le dieu de l'enfance.
Mais désormais, le dieu de l'enfance, ce n'est que moi.





Sylva Fischerová










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Les frayeurs haletantes de l'été 
sont le repas de l'ombre, où court la pierre
dure de l'angoisse, l'animal
qui suspend brusquement ses pas.
Ainsi est la course de nuit,
le frisson le long de la colonne vertébrale,
la montée dans une chaude obscurité.  
Je dois savoir que personne ne meurt 
que tout demeure pour un autre jour, 
les mains toujours jointes aux grilles 
comme on ne veille que pour prier.



Isabella Leardini










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Prénom



Quand, de nom propre,
ton prénom est-il devenu
un sortilège ?

Ses trois voyelles
comme des joyaux 
sur le fil de mon souffle.

Ses consonnes
effleurant mes lèvres 
comme un baiser.

J’aime ton prénom.
Je ne cesse de le répéter
sous la pluie d’été.

Je le vois, discret
au milieu de l’alphabet
comme un souhait.

Dans la nuit, j’en ai fait
une prière, jusqu’à ce que
ses lettres soient lumière.

J’entends ton prénom,
rimer, rimer, rimer
avec le monde entier.





Carol Ann Duffy










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14




Dans la fontaine
Au milieu de la place
Flotte
Un nageur 
À la recherche
Du crépuscule d'hier




Vitězslav Nezval, La ville étrange.











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Réveillée par le parfum
Du prunier en fleurs ...
L'obscurité
De la nuit printanière
Me remplit de désir




Izumi Shikibu

Composition réalisée grâce à la traduction de Jane Hirshfield et Mariko Aratani.










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Les os blancs du monde



Cette histoire, c'est la tienne.
Tu répètes toutes les fautes de l'humanité.
Tu as essayé de t'emparer
                                 du tombeau de Dieu.
Tu as mis les voiles vers le Nouveau Monde,
    en a ramené des autochtones, des poivrons rouges
                                                                             et du café.
Tu as fait flotter un drapeau comme une statue
                                                         de la Révolution.
Tu as laissé les enfants mourir de la peste.
Puis tu t'es assis dans un coin,
                                             et t'es mis à pleurer.

Voilà ce qu'est l'Occident :
   os sur os
   pierre sur pierre
   un château un seigneur
   attrape un dé,
   et le perd,
   plante sa tente, partage avec des moines 
   une soupe faite des os blancs du monde ...
   Et en dessert, du vin et des fruits,
   qui sont tristes
            comme la porte de l'Occident
   avec un goût de liqueur de pomme arménienne,
   toutes ces pommes d'or étincelantes de l'Orient
   se pressant aux funérailles de la Grèce,
   à la bataille de Chéronée




Sylva Fischerova










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Je demeure dans le désordre, l'été 
revient avec ses matins ensoleillés.
Si tu m'avais perdue en chemin
comme il advient aux choses importantes
quand elles tombent par accident d'une poche,
ou pire encore vous sont dérobées,
cela aurait mieux valu que de rester 
à l'abri sur une étagère qui se remplit,
qui grandit au fil des heures.  
Je flotte autour de toi comme la poussière 
et tu ne m'as jamais entendu marcher.




Isabella Leardini










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Il a fourré ses duvets
de la neige fraîche
qu'il avait ramassée,
afin que, contre lui,
elle se serrât la nuit.
Elle, cela ne l'aidera pas
d'avoir pris l'habit du couvent.
Sur fond de neige, 
tout égoïsme ressort plus clair, 
pique l'âme, 
appelle à un combat ancien.




Tereza Šustková










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Chanson à une petite fille morte



Dis-moi, dis-moi le secret de ton cœur vierge,
Dis-moi le secret de ton corps sous la terre,
Je veux savoir pourquoi désormais tu n'es qu'eau,
Ces rives froides où des pieds nus se baignent dans l'écume.

Dis-moi pourquoi, au-dessus de tes cheveux défaits,
Au-dessus de tes herbes doucement effleurées,
L’ardent ou calme soleil tombe, s'efface, caresse,
Quand il te touche et t'abandonne
Comme un vent qui ne porte qu'un oiseau ou une main.

Dis-moi pourquoi ton cœur comme une forêt minuscule
Attend sous la terre les oiseaux impossibles,
Cette chanson totale que forment les rêves
Au-dessus des paupières quand ils passent sans bruit.

Oh toi, la chanson, qui à un corps vivant ou mort,
À une belle créature dormant sous la terre,
Chantes une couleur de pierre, de baiser ou de lèvre,
Chantes comme si la nacre dormait ou respirait.

Cette taille, la minceur de cette triste poitrine,
Cette boucle vacillante qui ne connait pas le vent,
Ces yeux où ne vogue que le silence, 
Ces dents d'ivoire bien protégé,
Ce souffle qui ne fait pas frémir les feuilles précoces.

Oh toi, le ciel riant, qui passes comme un nuage,
Oh toi, l'oiseau joyeux riant sur une épaule,
Fontaines dont les eaux fraîches s'entremêlent à la lune,
Douces étendues d'herbe que foulent des pieds adorés!




Vicente Aleixandre











Traductions d'Oriane Celce.

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