Le Lac des Cygnes, mars 2019



Le Lac des Cygnes de Rudolf Noureev
Réflexions sur la soirée du 9 mars 2019.



Le ballet donne chair aux mondes merveilleux. Ce ne sont pas seulement des histoires qui se jouent sur scène, mais aussi l'éveil de tous les êtres, animés ou inanimés, qui habitent ces univers étranges. J'en viens à croire que de tels spectacles pourraient se passer de décors, tant les corps ont la capacité de former un espace, de susciter une atmosphère, et de doter chaque lieu d'une âme passagère.

Ainsi les cygnes du Lac représentent-ils autant des personnages qu'un univers mouvant, tour à tour nuées d'oiseaux, vent dans les joncs et ondulations de l'eau. Le corps de ballet est à la fois cygnes et lac. Le cortège qui entoure Odette se métamorphose sans cesse pour faire écho à ses lamentations, d'un mouvement plaintif ou consolant, à l'inverse de ces figures inquiétantes (Odile, Rothbart) qui se transforment aussi, mais pour abuser le prince perdu dans les contrées du rêve. Les merveilles qui se produisent sous nos yeux comportent de fait une part sombre, qui est peut-être l'envers de tout conte de fées. Leur monde ne renvoie pas à un système donné de significations, mais nous trouble en ce que chaque signe-cygne y est susceptible de se renverser.

Inquiétude et envoûtement, c'est ce que j'ai ressenti le samedi 9 mars devant le spectacle que nous offraient Paul Marque (Siegfried), Myriam Ould-Braham (Odile-Odette) et Axel Magliano (Rothbart, etc.). L'histoire qui nous était contée ressemblait à peu près à celle-ci: un jeune homme rencontre un oiseau rare dont il s'éprend au premier regard. Ils ne forment bientôt qu'un, le prince évoquant parfois un cygne, quand Odette lui donne son cœur de femme. Tromperies et maléfices les séparent dans une longue agonie qui traduit autant l'adieu à l'autre que la perte de soi; et tout disparaît dans une brume - le lac, l'amour, le rêve.

S'agissant de la musique, il est difficile de ne pas se laisser emporter par les airs célèbres devenus aussi emblématiques du ballet classique que les battements d'ailes d'Odette, même s'il faut garder à l'esprit que la partition a été profondément révisée par Riccardo Drigo. Si vous me pardonnez cette image, la musique du Lac de Noureev est à Tchaïkovsky ce que le yaourt aux fraises est au fruit: on y trouve d'authentiques morceaux, mais totalement mélangés. Par exemple, le passage qui accompagne le fameux pas de trois d'Odile, Siegfried et Rothbart au troisième acte figure au début de la partition originale. Drigo a réagencé l'œuvre en y ajoutant par ailleurs des extraits qui n'ont rien à voir avec le Lac des cygnes. D'où cette impression d'écouter un aimable pot-pourri de thèmes durant la représentation!

Ces remaniements n'ont pas nui à la magie noire du ballet, porté par des danseurs au sommet de leur art (Myriam Ould-Braham), ou en pleine éclosion artistique (Paul Marque et Fanny Gorse, déjà sublimes). Lyrique et précise, la compagnie a su mener ce drame cruel jusqu'au plus haut degré d'émotion et de raffinement.








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