Les châtaigniers sont en fleurs sur l'avenue bordée d'arbres,
mais une personne avec vertu réagit aux coups durs.
Tu ne pèses pas de pierres.
Tu ne t'accroches à rien.
Tu ne tailles rien.
Tu regardes et tu souffres.
Le cœur héroïque parle et tes rides
brillent de compassion.
Les mots sont accrochés ensemble, mais les pensées
font intrusion comme elles l'entendent.
Auprès des vrilles sèches et grises de la glycine
l'histoire s'enroule à un long balcon.
Le matin, elle en tombe par grappes.
25.
Les étoiles s'assemblent en larmes et déforment une veste.
Combien d'étoiles !
Elles dégringolent dans le jardin de rêve au pied du château ;
le matin, nous en recueillons des plateaux entiers.
Elles se changent en myrtilles, en baisers, en brioche,
dans la poussière poétique qui tombe sur la souffrance,
les plans et les pianos.
Peu de poèmes respirent.
Il est des jours plus réels que d'autres.
26.
Je m'embrouille dans les fils
de ma mémoire,
de mes cinq sens, et j'erre.
Les lois existent,
je ne les connais pas.
J'observe le vent, la brume,
à travers les branches.
À travers les pétunias et le vers.
Sur une vieille tasse
quelque chose se concentre
et glisse en moi.
Le poète est bon tant qu'il craque
comme une asperge.
27.
Sous des branches coupées je conserve mes jours,
et mes soirs.
Ils s'élèvent dans un éclat,
dès que je le veux.
Je ne prends plus mon élan de toute ma force.
Laissez la reine des souhaits changeants
maintenir sa cour. Aérer son palais.
Laissez-la tout désapprouver.
C'est difficile
à comprendre,
mais
je sais
que
le destin
existe.
18. 11. 1948
29.
Padoue s'effondre.
Et le Café Florian.
Et tu appelles un chauffeur
qui monte la garde à la jetée de San Carlo
parce qu'il ne sait pas
ce que veulent dire tes mots.
Peut-être sera-t-elle en blanc, peut-être en noir.
Peut-être sourira-t-elle.
Les prétendants attendent,
que l'une des branches verdisse par miracle.
30.
Les sables du désert semblent gâter
ta biographie.
Les hommes se précipitent à Babylone
afin de trouver les mots
que comprennent cent millions d'animaux massacrés.
Je sais la petitesse
auquel un poème est réduit
quand nul ne remarque nos doigt.
Ou ne nous dévisage !
C'est parce qu'ils ignorent pourquoi les mots existent.
32.
Qui oublie écrit.
Sur le petit-lait, des attentes se forment.
Je vois comment la crème répartit les nations
lors même qu'elles rêvent.
Seul sur les villes ferventes
s'enroule une âme épaisse.
Ceux qui renaissent la portent,
mais pas dans les vallées
où la lumière ne brille jamais.
Où les lys rouges ne fleurissent pas.
C'est de la faute des créatures imprévisibles
si les oiseaux ne savent
quoi chanter.
33.
La langue perçoit la profondeur.
Et l'obscurité de la rose.
Et une paix qui ne recherche
pas les honneurs.
Si je flaire un soupçon d'unité,
je chasse le malheur.
34.
Quand la nuit tombe, les chansons
cèdent la place au silence.
Ljubljana rétrécit.
Les émeraudes étincèlent d'une ambition
qui ne peut égaler la rosée de Mai,
ni Jakob Schell,
sa richesse et sa générosité,
ni la cosmogonie des palais assassinés.
Ni quoi que ce soit de vert.
Une mine sous le jardin du gentilhomme
regorge d'un or qui ne sera jamais ciselé.
Un esprit dispersé ruine
les blancs sentiers et les paroles sereines.
L'amertume empoisonne les tombes
et d'immenses quantités d'air.
Une petite flamme sur un petit autel
menace de s'éteindre.
36.
Ljubljana a des navires, et une mer
déguisée en rivière,
pour soigner nos blessures.
Les voleurs veulent qu'on récolte l'encre,
mais pas les poètes faiseurs d'arc-en-ciel.
On leur a dérobé leur fusil chargé d'ambre,
ils ne peuvent dire ni prophétie, ni prière.
Mais voyez comme la nuit l'espace rétrécit,
glisse et tombe. Ne cesse pas de tomber.
Qui sait pourquoi les colliers du matin
sont si clairs ? Et le papier blanchi ?
37.
Dodus, éclatants, les bouvreuils bondissent sur les branches
et les tracas dévorent les plus belles fleurs.
Différents poèmes poussent
si je regarde le jardin chaque jour.
Très différents.
Je mesure les voix d'après leur écho,
les gouvernements aussi.
Je ne compte pas les moutons,
je ne suis pas à la recherche d'un berger.
Le clocher de la cathédrale fond au soleil.
Le ciel retentit. Les couloirs tremblent
dans la chaleur du jour. Mes doigts se collent.
Et la vérité chante, inclinée vers l'est, elle chante.
38.
Sous le château, dans les effluves du sureau,
le jour bascule.
Le cœur se retire à l'intérieur du conflit.
Des mots sensuels protègent les arches et les baldaquins,
en ce temps où des visages pleins de hargne
se déchaînent sur la patrie.
Ces voleurs de beauté ne savent pas
qu'une ligne divine n'est jamais droite.
39.
L'hirondelle est perchée sur du marbre ancien.
La terre tremble.
L'oiseau attend que la pierre se transforme en pain.
Où est le sphinx qui comprend, et voit, et sait ?
Je dois tenir bon
après la perte de l’ivresse !
L’entrepôt abandonné
fleure encore la cannelle deux siècles plus tard.
J'appuie ma tête brûlante contre celle de l'éléphant.
Où est Indra ? Le Roi des Cieux ?
Jésus, es-tu dans le labyrinthe ?
Ils ont traversé le mystère, ceux qui dévorent le soleil.
40.
Voici le jour destiné
au roi noir et à la reine blanche.
Qu'on ouvre grand les larges portes :
ils nageront à travers le lac au soleil de l'après-midi,
gardiens de ce monde unique
qui s'insinue entre les pierres dans les livres et les yeux,
à la source des pensées,
écrasant le soir absent.
Les proportions vénitiennes
ne brisent pas l'existence idyllique,
qui grandit par les sens.
J'ai peur pour toi, Europe kidnappée.
(À Francesco Robba dans l'église Saint-Jacques, 1723-1733).
42.
Les quatre rivières du paradis se sont recroquevillées.
Le ciel s'effrondre au-dessus de la maison.
Sur son bord étincelant, Zeus
s'apprête à lancer un éclair. Le Christ
se contente de regarder fixement.
Il veut que je prenne le calice des mains de Théodora.
Il ne laissera pas la glace recouvrir mes carnets.
Je connais ceux qui enroulent le froid,
et le matériau brut, fruste de la folie.
De noires mutilations guérissent
quand on les regarde dans les yeux.
Elles gémissent comme des bébés nourris au sein.
Osera-t-on prendre le manteau qu'Élie nous a offert ?
Des mots, ce sont des mots ;
et ils brûlent.
43.
Les générations font la queue
pour l'éclat métallique
mal-aimé des forgerons.
Parce qu'ils font la distinction entre de l'or et de l'or.
Parce que, d'une main tremblante,
leur fils pâle tend du pain
aux étrangers, afin qu'ils deviennent frères.
Vêtu d'un manteau orange, le père leur jette du jasmin.
Les chiens étendus dans les sables de Malabar,
boursouflés de chaleur, font abstraction de la gale,
de la famine, et accourent pour jouer.
Des cendres douces, parfumées,
s'assemblent entre nos dents.
44.
Un petit bec picore la rosée
ne laissant pas la moindre trace.
L'étang veille sur l'errance des jeunes filles,
et sur leur désespoir.
Tout en jetant des cailloux, les senteurs
s'assemblent au-dessus de la canopée,
et se répandent sur la ville.
L'odeur indique où le clair de lune est passé.
Je surveillerai ma langue.
Dans un marais, le phœnix ne peut s'envoler.
Il plane sur un épais nuage.
45.
Le paysage a une telle importance !Ce n'est pas que de l'espace. Toutes les couleurs s'y trouvent.
Sur les petits cercles des miroirs, elles sont suspendues au chant.
La nuit elles gardent les roses et me protègent.
Les cailles, éparpillées avec moi, ont apporté le manoir.
Je sais que la glace se fendra.
Je sais qu'elle se fendra.
Je sais que les attentes seront couronnées de succès.
Je sais. Le chant du froid est douloureux,
Bien plus encore que le temps, qui nous renvoie au nid.
46.
Sur la surface de ma peau, par mon esprit tout entier, je la sens,
l'obscurité. Quand on coupe des acacias, on entend un lion rugir.
Un héros est victorieux s'il n'est pas trop pressé.
Les arbres pousseront sur
ses pas. Les actions sont des miracles.
Vous les fleurs, soyez patientes !
Nous venons de chaque coin du ciel,
parler fidélité aux braises.
Histoires de nuit tombée.
Jusqu'à l'aube.
51.
La fierté n'est pas diabolique,
ce n'est que la baguette de Lucifer
décidant qui
doit parier quoi.
Lorsque le jugement dérape, la lumière se déplace.
Sur ses genoux, on aperçoit
les grains qu'on avait déjà décortiqués.
Il est plus facile de trouver du feu dans du quartz,
qu'un chemin à travers les étoiles.
Père dit :
tes mains sont celles d'une fermière.
Il les embrassa et mourut.
53.
La légende n'a pas dit
qu'un caractère pouvait tuer le cœur d'une ville.
À Trieste aussi on se fait dépouiller,
mais d'une manière complètement différente.
À Vienne, un bleu ancien l'adoucit.
L'arme d'un poète n'est nullement ambigüe.
L'acier, l'argent, l'étain ne lui résistent pas.
Il montre des drapeaux
et ses blessures guérissent.
Ni excuse.
Ni promesse.
Il sait qui il est.
54.
Le poème est grâce.
Non pureté.
Persévérance.
Pas une croix.
Parce qu'il l'a déjà été.
Bien avant une tige
verdissante.
55.
Me manquent de puissantes phrases comiques.
Quand la lune et moi sommes face à face,
quand j'observe une rose,
elles n'osent pas s'approcher.
Le Dieu de ce jour fête son anniversaire.
Lui, il a de ces mots.
Un avenir qui est un présent.
Un présent qui est éternel.
28 novembre 1999.
56.
Ses habits ont un éclat soyeux. Ni la gloire,
ni le mépris ne le perturbaient.
Les poètes ne renoueront pas avec lui,
parce que ce sont des égoïstes.
Messianisme dans l'estomac, dans le cœur
nulle compassion. L'expérience
connaît l'expérience. Quand on les oublie
sur des plumes blanches, les mots
demeurent éparpillés, denses et coriaces,
sur l'autel du matin.
57.
Il est des brumes qui ne se dissipent jamais,
mais que le soleil éponge.
Où est la maison ? La souffrance l'a-t-elle troublée ?
Serez-vous reconnue de votre propre sang ?
De jeunes mésanges zinzinulent au milieu des questions.
Dois-je les nourrir ou voler avec elles ?
59.
Les pommiers en fleurs me montrent que derrière eux
se trouvent de nombreuses villes agglutinées. Les fleurs
s’envolent vers les clochers de Trnovo, et au-delà
jusqu'aux marches où le livre des heures les recense.
Le bonheur rend nos yeux insatiables.
Chaque soir les villes reviennent sous les arbres.
Nous sommes encombrés de préhistoire, d’hier,
et d'objets pour la mort, qui jonche une urne
de sa blancheur, et qu'on écarte. Où sont ces coursiers
auxquels nous pouvons dire ce qu'il faut faire ?
Laissez-les cuire le pain ! Plantez des pommiers !
Apaisez l'atmosphère !
63.
La poésie n'est pas mourante. Orphée se trouve là où il a toujours été.
En mon for intérieur, des amis se rassemblent,
dans les villes, les siècles s'embrassent.
Jésus a constitué une fraternité pour tous,
mais le caractère sera toujours aristocratique.
Les savants s'approchent de lui, les paysans le suivent aveuglément.
La vaste mer est la paix en vue de laquelle il s'avance.
Avec un vers à chaque croisement.
Comme on vit à chaque instant l'éternité !
64.
Un vent mauvais ruine mes mots.
Dois-je le combattre à l'épée ?
Une vie brisée se rétablit
Au-dedans, puis au-dehors.
Parmi les marguerites, pousse
une parole puissante,
qui laisse flotter son drapeau.
La joie lui souffle en pleine figure.
66.
Deux cœurs baroques apparaissent en silence.
Comment transcrire la repentance ? La gloire ?
Donner un coup de crayon ? Ou bien goûter l'eau vive ?
Ou encore imprimer tant le palais que l'esprit ?
Comment savoir que mes mots mettront exactement en scène
mon histoire ? Quand je reprends mes habitudes,
je ne fais que copier la vie.
Un tigre n'est pas extraordinaire, partager un petit-déjeuner,
c'est effacer les siècles entre Krishna et le Christ.
Peut-être les buissons athées ne peuvent-ils le voir.
Qu'en est-il du faîte des arbres ? Des circonvolutions baroques -
le neveu du magicien.
68.
Les plaisirs sont opaques et limpides.
De même les portails principaux.
Y a-t-il des espaces qui n'existent pas encore ?
Dans une ville, un autre lieu, et puis un autre.
Dans une rivière, un courant de plus. Ou deux.
Le bruit s'intensifie tout à coup,
mais reflue doucement,
comme un chemin blanc à travers le jardin.
69.
Je suis frappée par le destin.
Dans un vieux vase, sur les bourgeons des azalées, se forme
du satin neuf. Et là aussi, sur le coffret.
J'entends de derrière la porte les pleurs déchirants d'une âme,
qui veut entrer. Cela prendrait un siècle
débordant de vases et de chaises, et pourvu de balcons,
pour qu'un navire jette son chalut sur les surfaces célestes.
Un poète est un artiste et un pêcheur à la ligne. Ce n'est pas simple.
18. 11. 2000.
À Gregor Strniša pour son soixante-dixième anniversaire.
73.
Si j'étudie le ciel, je vois comment émergent les pensées.
La joie purifie mon cœur.
Je vois le destin plus tendre qu'une fraise mûre.
On ne peut revenir en arrière. Je la tiens entre mes doigts.
Le jus rouge tombe sur la pierre goutte à goutte.
La pression n'écrase pas l'esprit. Si on la laisse faire,
elle nous poussera même là où l'on ne devait pas aller.
Pièces d'or suspendues sur les fondations. La douceur
s’amasse elle aussi dans le ciel.
Voilà l'histoire des fruits, et du soleil qui brille sur eux.
À Aleš pour son quarantième anniversaire.
76.
Colère et fureur
ne renouvelleront pas la création.
Une émotion tressautant d'une charge électrique
fait éclater une épée.
Il pleut doucement sur les ruines.
Parce qu'elles étaient protégés par des mûres sucrées,
la solitude rajeunira les chambres de son désir.
Les clématites bleues se balanceront dans la clarté du jour.
Que voit le lierre quand il sort de la tombe ?
Meta Kušar,
extraits de Ljubljana, Cankarjeva založba, 2004.
Traduit du slovène par Oriane Celce.
Sublime. Merci pour cette traduction.
RépondreSupprimer