Journal : octobre 2021
Dimanche 3 octobre
Raconter ces derniers jours est éprouvant. Jeudi soir, j'ai été prise de douleurs. J'ai fait l'erreur d'aller au lycée le lendemain. Quatre heures de cours d'affilées sans pouvoir me lever de ma chaise, dans un contexte professionnel difficile à cause d'une affectation absurde (deux établissements distants l'un de l'autre et de chez moi, ce que j'ai appris fin août ; des heures supplémentaires ; aucun jour de repos et des horaires très matinaux) : que pouvait-il arriver de bon ? Je suis en arrêt maladie.
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Quoi de mieux que le jardin du musée de la Vie Romantique par un dimanche d'automne orageux ?
Ce matin, j'ai regardé Les 400 coups de Truffaut, que je n'avais jamais vu. L'humour doux-amer, la violence des relations familiales, l'indifférence à laquelle se heurte le sentiment d'abandon : c'est un film d'une grande force.
Marchant jusqu'à la rue Chaptal par le pont Caulaincourt, la place Pigalle et Notre-Dame de Lorette, j'avais pour compagnie le fantôme d'Antoine Doinel. J'avoue avoir visionné l'œuvre pour cette raison même qu'elle garde trace d'un quartier où je passe très souvent. L'expérience de la ville se documente de multiples façons, y compris la comparaison ou la superposition (à mon trajet se mêlent les trajets d'autrui), comme s'il fallait qu'un mouvement physique se double de son ombre artistique. Littérature et cinéma rendent les lieux hantés, et je recherche cette hantise. C'est ainsi en effet que je dévore Paris : par le martèlement de mes pieds, et par l'incorporation des récits et des images.
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Je viens d'appeler une collègue que je ne connais pas,
un dimanche soir,
pour une affaire délicate face à laquelle nous ne pouvons rien,
ce pourquoi elle m'a répondu avec une grande frilosité,
et j'ai clos la conversation par : "gros bisous".
Bref, j'ai pris deux anxiolytiques.
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Lundi 4 octobre
Voies dont j'aime le nom :
Rue des sept dormants (Orléans)
Allée de la garance (Paris, XIXe)
Rue des quatre fils Aymon (Orléans)
Rue de la cerisaie (Paris, IVe)
Cour du Levant (Paris, XIIe)
Rue de la clef (Paris, Ve)
Rue des chèvres noires (Orléans)
Rue bleue (Paris, IIe)
Rue vieille-du-temple (Paris, IIIe)
Rue des blancs-manteaux (Paris, IVe)
Quai des orfèvres (Paris Ier)
Rue des chats ferrés (Orléans)
Rue des rosiers (Paris, IVe)
Avenue Rachel (Paris, XVIIIe)
Rue de la brèche aux loups (Paris, XIIe)
Rue de la demi lune (Montreuil)
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Mardi 5 octobre
J'ai repris timidement le théâtre. Le plaisir du jeu et de la scène a ressurgi avec la même intensité que quand j'étais enfant, comme si je retrouvais mon élément, cette île bienheureuse qui suspend le temps ordinaire. Une autre temporalité s'ouvre : celle d'une intrigue, d'une musique, d'un mouvement, ou d'une ivresse. J'avais l'impression de n'agir que par instinct, contrairement à d'habitude, où il faut jauger les situations. J'ai maintes fois remarqué ce paradoxe que je dois feindre d'être une autre pour me sentir authentique, si tant est que ce mot ait un sens ... Peut-être l'artifice m'en donne-t-il justement l'intuition, une intuition ancienne, et difficile à traduire. La fiction constitue le lieu où tout affleure et apparaît ; où ce qui est dormant se révèle en prenant forme. J'emploie le terme de "fiction" dans l'acception la plus large, incluant les écritures de soi, parce qu'une simple transcription est déjà une réinvention. D'où ce journal, d'où les poèmes, d'où mes divers projets : sans eux, je n'existerais pas vraiment.
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Mercredi 6 octobre
Je garde le lit, ce qui me donne l'impression, en jouant sur les mots, de surveiller la chambre qui reste sage en ma présence, d'une impatience contenue dans la lumière laiteuse.
J'appréhende les rendez-vous avec les psys. Ma connaissance de la médecine m'a souvent permis d'anticiper les questions des soignants, et de prévoir quoi répondre pour orienter la thérapie. Il va maintenant falloir être franche si je veux être aidée au mieux. Évoquer qu'il est des moments où je ne veux plus vivre, chose qui me semble aberrante, moi qui aime tant la vie, et qui exige tout d'elle, y compris la vérité.
En un sens, cette exigence m'a protégée. Parce que je veux un contact direct avec la joie, sans ruse ni expédient, je n'ai pas succombé à la tentation des drogues. Je crois aussi que, de pièges en abus, et d'abus en mépris, je suis cependant restée imperméable au cynisme. L'amertume ne m'a pas menée au désespoir, car j'attends encore de la joie. C'est ma foi de païenne, mon espérance d'athée.
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Place des Vosges. Coïncidence, je relis ces jours-ci Marie de Rabutin-Chantal, dite Madame de Sévigné, née à l'angle de la place et de la rue de Birague.
Grand soleil blanchâtre qui baigne le square Louis XIII, adolescents qui crapotent à l'ombre d'un arbuste, enfants dans le bac à sable, clochards installés sous les arcades. Des badauds se sont assis sur les pelouses comme aux beaux jours de l'été. Sur les bancs, des silhouettes de dos, sauf une femme qui est retournée, visage tendu vers la lumière.
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Jeudi 7 octobre
J'ai pris ce matin un cours de danse contemporaine destiné à des professionnelles. D'un niveau beaucoup plus modeste, et toujours souffrante, j'ai suivi comme de loin leurs mouvements, les adaptant à mes capacités limitées. À la fin des deux heures, je me suis même assise pour les regarder, fluides, légères, sûres d'elles.
Les plages d'improvisation m'ont fait du bien. Mon corps à des choses à dire, des choses très dures, et pour qu'il puisse les dire, il est nécessaire que je m’oublie.
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Samedi 9 octobre
J'ai découvert une nouvelle librairie à dix minutes de chez moi. La boutique est bien fournie en raretés ; les vendeurs se sont montrés aimables, cherchant un gros quart d'heure un bouquin presque inconnu au bataillon dans leur réserve. Je serai une bonne cliente.
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Le cours de danse de cet après-midi m'a remise encore plus d'aplomb.
Je reviens par chez moi par le cœur de Montmartre, populaire, snob et touristique. Le beau temps et les endorphines consécutives à l'effort me grisent un peu.
La rue Francœur mérite d'être ajoutée à la liste des voies dont j'aime beaucoup le nom - je devine qu'elle honore un compositeur dont je ne me souviens pas bien des œuvres.
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"Son petit fichu sur les épaules
Elle rentrait, par la rue des Saules"
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La majeure partie de mes promenades se situe dans l'imaginaire, celui des œuvres artistiques, et celui des histoires que j'invente. Mes bobines tournent le long des rues, et si je presse le pas, l'intrigue prend son essor, les sentiments se déchaînent, je sens mes personnages palpiter avec moi.
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Lundi 11 octobre
Interrogeant ma place dans l'enseignement, il est inévitable que je me confronte à l'élève que j'ai été. Je retrace un chemin sinueux de mon enfance à aujourd'hui. Mon rapport à l'institution a toujours été complexe.
Le point de vue de mes parents sur ma scolarité oscillait me semble-t-il entre méfiance, et la franche indifférence. Très tôt, j'ai imité leur signature sur les contrôles et bulletins dont il ne se souciaient nullement des notes. Ils manquaient volontiers les réunions avec les professeurs.
J'ai désespérément suivi des parcours très élitistes, sans avoir une grande capacité de concentration, ni l'envie de me consacrer entièrement à un seul dessein (réussir tel concours, exceller dans tel domaine). J'avais faim de savoir, assez peu d'ambition. J'ai été tour à tour première et dernière de la classe, en passant par les toutes nuances de la médiocrité. J'aurais préféré n'être qu'une dilettante, et quelles que fussent les périodes, j'ai su conserver des passions d'autodidacte.
Je ne glorifie pas l'école, ni la réussite scolaire. J'ai fait de longues études incohérentes et décousues, où je ne me sentais pas à l'aise. Je n’y étais pas, car je fuyais autre chose, dont les études ne m’ont pas vraiment sauvée.
Il est difficile de trouver ma voie parmi ces contradictions. Au fond, je garde l'idéal d'un amour de la connaissance qu'on puisse réconcilier avec le rêve et la douceur. Or, il n'existe pas d'école qui corresponde à ce vœu, si ce n'est celle, souterraine, de mon imaginaire, à l'ombre de laquelle j'ai grandi.
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Samedi 16 octobre
En terrasse, buvant beaucoup de café à la rose, et lisant Baba yaga a pondu un œuf de Dubravka Ugrešić, autrice qui m'est très chère, et que j'ai pu rencontrer récemment en compagnie de M.-A. et J.
C'était ma deuxième demande d'autographe à quelqu'un. La première s'adressait à Jacques Roubaud. Ces deux écrivains sont également importants pour moi, quoique de manière élusive, comme tous les artistes qui comptent. On ne sait précisément en quoi notre paysage intérieur a changé, et pourtant ce n'est plus le même.
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Dimanche 17 octobre
L'appartement est à peu près rangé, nettoyé, débarrassé des cartons de déménagement qui l'encombraient depuis trois mois. Il m'a fallu tout ce temps pour m'installer : j'ai pris possession du quartier avant de me sentir à l'aise chez moi. Ma façon d'habiter les lieux est, si je puis dire, concentrique ; elle procéde de l'extérieur vers l'intérieur, de la ville à l'espace privé. Un foyer ne peut pas se concevoir sans un quartier qui l'entoure, ni cette approche enveloppante par laquelle je le fais mien. Il me semble, du reste, ne me mouvoir parmi les idées que de manière circulaire. La pensée comme le séjour sont ainsi tournoiement, longs voyages vers le cœur des choses, et rien n'est plus éloigné de moi que la notion d'accaparement d'un geste net.
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Lundi 18 octobre
D'éternels débats sur la beauté des femmes viennent recouper quelques réflexions que je me faisais ces temps-ci sur la perception de son propre physique.
La question est épineuse, parce que je ne sais pas exactement quelle image je renvoie, parce que je n'ai pas de jugement arrêté sur mon apparence, et enfin parce que la beauté étant considérée comme une vertu pour une femme, en parler nous expose à des accusations de vanité, alors qu'il s'agit d'une donnée sociale, construite d'après le regard d'autrui, selon les normes de l'époque. Il n'y a pas à s'en glorifier. C'est un ensemble de traits avec lesquels on se débrouille, et qu'on ne peut changer, à moins de chirurgie, que dans le détail.
Adolescente, je passais pour laide. Je ne pense pas que les photos le confirment : j'avais une bouille de gamine ordinaire, peu d'acné, une taille moyenne. Si j'avais une forte myopie, j'ai très tôt porté des lentilles. Je ne sais pas pourquoi je suis passée de ce statut ingrat à celui de jolie fille vers l'âge de 23 ans. Sans doute avais-je l'air plus adulte. Quoi qu'il en soit, je n'ai jamais pu m'y faire, et me comporter comme une femme charmante, susceptible de plaire.
Ma beauté n'est pas un fait pour moi, c'est une rumeur. Non que je me trouve disgracieuse ; le plus juste serait d'avancer que je ne me trouve pas. Quelque chose m'échappe quand je m'observe dans la glace. Face à moi-même, je me vois de façon trouble, ainsi qu'un reflet dans l'eau, insaisissable et mouvant. Ma beauté est une ombre tremblante.
Il m'est arrivé de regretter qu'on loue mon physique au détriment du reste, ou bien qu'on m'y réduise. "Oriane est belle, S. est intelligente" disent parfois des amis. J'aurais plutôt préféré être celle qui a de l'esprit. De même, quand des professeurs d'université m'ont affirmé que l'élégance et une jolie voix ne suffisaient pas pour réussir, me suis-je sentie humiliée, ramenée à une chair que je n'ai pas choisie.
Je ne néglige pas mon corps pour autant. Sportive régulière, bonne vivante et coquette, j'en prends soin, et je me sens une, en lui, par lui. Néanmoins, je ne me réduis pas à la surface qu'il projette. L'abus sexuel est l'acte le plus violent par lequel on a nié ma personne au-delà de l'écran de la chair (qu'elle fût attirante ou non n'avait d'ailleurs dans ce cas qu'une importance très secondaire), mais à vrai dire c'est une situation extrême sur un long continuum.
Récemment, je me demandais pourquoi j'avais tant besoin de danser.
Entre autres explications, il me semble que c'est l'occasion de faire affleurer l'esprit, d'incarner au sens fort une sensibilité, des souvenirs, une histoire. La danse nous apprend justement que nous ne sommes pas qu'un corps, mais aussi ce qui le fait rayonner de l'intérieur. Cette intériorité, je voudrais qu'on la présuppose et la respecte, à défaut de la reconnaître.
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Mardi 19 octobre
Le marchand palpe les cuirs, les caresse amoureusement : "Ça, c'est de la belle peau, voyez". Il me raconte qu'il a passé son enfance en Tunisie, dans un quartier de tanneurs où régnait la pire puanteur qu'on pût imaginer : "Mais nous, on faisait plus gaffe, on vivait avec". Il n'a jamais totalement quitté ce monde, même s'il s'est consacré en France à la confection et à la vente. Il décrit brièvement les évolutions de notre quartier, d'une périphérie populaire et assez mal famée en une annexe bourgeoise, même si l'esprit de village a heureusement perduré. Il me demande depuis quand j'habite la capitale. Douze ans. C'est difficile d'en partir. Il sourit : "Ah voyez, vous êtes comme moi, on est des vrais Parisiens ! Les vrais, c'est pas seulement ceux qui sont nés là, c'est ceux qui ne peuvent plus quitter Paris".
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Vendredi 22 octobre
C'est fou l'empreinte que le prieuré hospitalier du Temple a laissée à Paris, au moins du point de vue de la toponymie (surtout quand on sait que l'ordre des Templiers a été dissous au XIVe siècle). L'enclos du Temple occupait une partie du IIIe arrondissement actuel, précisément entre les rues Réaumur, de Turbigo et des Archives. Et il n'a pas, me semble-t-il, été rebaptisé. Ce qui a certainement permis à ces toponymes de perdurer, c'est le quartier de la Villeneuve-du-Temple, plus étendu que l'enclos, puisqu'il allait jusqu'à l'enceinte de Philippe Auguste, et ses agrandissements ultérieurs. De fait, il s'agissait d'une censive au même titre que Saint-Germain-des-Prés, un fief d'ampleur variable qui avait gardé son nom initial.
J'ai établi la liste des lieux concernés :
_ La station de métro "Temple"
_ La rue du Temple
_ La rue Vieille-du-Temple
_ La rue du Faubourg du Temple
_ Le Boulevard du Temple
_ Le Carreau du Temple
La tour et la porte du Temple ont été détruites.
Il est vrai que je fus géographe.
Il y a toujours plus d'un lieu dans un lieu, et cette archéologie toute mentale me fascine. Un livre rend très bien compte de ces réflexes de fouilles au-delà de l'aspect présent d'un monument ou d'un espace, Austerlitz de W. G. Sebald, que j'ai beaucoup relu. Il a quelques épigones dans la littérature contemporaine, mais aucun de m'a autant marquée. Dans ces romans ou récits de soi, les lieux sont finalement liés par d'invisibles réseaux de sens, à moins qu'un esprit malade ne les associe par un raisonnement de psychotique ; le doute, dans Austerlitz, est permis. C'est la limite avec ma propre conception de la ville. Ma démarche est le fruit de lubies passagères, et mes pensées restent éparses, sans liens entre elles.
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Je bois du café, assise sur mes tapis persans que j'ai dû empiler, vu qu'il n'y a pas assez de place dans mon appartement pour les étaler côte à côte. Je voyage à bord de livres, notamment un bouquin d'Edmond Lévy sur Sparte, englouti en une soirée, en sautant des paragraphes selon les titres, bref, peu sérieusement. Pour ce qui est des fictions, toujours Dubravka Ugresić, et des nouvelles de Jean Rhys dans le Paris d'il y a un siècle. Quelques lettres amusantes de George Sand ; de belles pages de Ma vie de Lou Andréas-Salomé, autrice qui m'accompagne depuis des années, et que je ne cesse de relire. Sur mes tapis volants, ce sont là les pays et les époques entre lesquels je virevolte.
J'ai réécouté les œuvres pour piano de Brahms et de Schubert, dans des interprétations assez récentes que je ne connaissais pas. Je crois que je ne m'en lasserai jamais. Cette musique si entendue ne fait que gagner en densité avec le temps, comme une contrée qu'on découvre très vaste, et qu'on ne peut finir de traverser. Je me suis également repassé les Suites pour orchestre de Massenet, après les avoir entendues dans Le Rouge et le Noir de Pierre Lacotte, actuellement dansé à l'opéra (un ballet trop long et disparate, malgré de beaux pas de deux). La nuit, en me promenant, je me suis replongée dans la musique de chambre de Brahms, qui me touche parce qu'elle est pleine de silences et de feinte résignation. Le feu sous la cendre, que je préfére souvent aux flambeaux triomphants.
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Lundi 25 octobre
Rêves longs et complexes ces derniers temps, dont un où je mourais dans une guerre entre syndicats enseignants (?), et tentais de communiquer avec mes amis de l'au-delà. J'ai eu le plaisir de constater au réveil que j'étais bien vivante.
J'ai tiré les cartes du tarot de Marseille pour les prochaines semaines.
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Mardi 26 octobre
Journée de train. Avec retards, etc. Mais j'y suis habituée, donc je suis restée calme.
Les vignes rousses, les champs de lavande, la terre, morte ou brûlée.
Les nuées d'oiseaux de gare en gare, eux aussi de passage.
Longé la mer et les étangs à la nuit tombante, paysages qui m'émerveillent comme une enfant. Ces incroyables flaques bleu faïence, entourées de formes sombres, de lagunes presque noires.
Je suis arrivée à Barcelone et les idées se cognent les unes contre les autres ; impossible d'en tirer une impression globale. Je n'étais pas revenue en Espagne depuis dix ans. Il fait un temps de mi-septembre. J'ai gagné un mois sur la saison.
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Mercredi 27 octobre
Que l'architecture puisse être impressionnante par sa conception et ses dimensions, j'en conviens, même s'il m'a fallu du temps pour y prêter réellement attention. Les œuvres d'Antoni Gaudí me rappellent qu'elle peut également m'émouvoir. Ce début de séjour à Barcelone a été consacré à la Casa Batlló, que nous sommes revenus voir plusieurs fois. Le jour, fonds marins aux couleurs changeantes ou cargot fantaisiste, puis monstre où l'on se perd comme Jonas au cœur de la baleine. La nuit, repaire de la sorcière d'Hansel et Gretel, de friandises et d'os, tons pastels, têtes de mort.
Il est rare qu'un lieu nous invite par sa forme dans le conte ou le mythe, avec cette faculté de métamorphose justement propre au merveilleux. La maison se transforme ainsi que les silhouettes aperçues à travers ses vitres, lignes qui s'étirent et se rapprochent, qui se parent de nouveaux reflets, à chaque instant méconnaissables.
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Jeudi 28 octobre
"Salud salud de mi sol en soledad"
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Vendredi 29 octobre
Hier et avant-hier, j'ai nagé sur les toits de Barcelone, peu effarouchée par la fraîcheur de l'eau. J'ai traduit un poème de Louise Glück. J'ai avancé dans ma lecture de Baba Yaga a pondu un œuf, poignant et drôle.
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Mes proches ne connaissent presque rien de ce que protège le paravent de l'écriture. Une existence est un kaléidoscope, et j'ai de plus en plus l'impression que chacun n'en perçoit que des aspect disjoints.
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Au bord de la Méditerranée. La mer, le ciel et la ville se fondent en un halo gris bleu, que percent les lumières du port de leurs signaux solitaires.
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Mes colères brusques, douloureuses, précédées et suivies d'un grand calme.
Les passions où je me jette par impulsivité, mais que j'approfondis avec patience et minutie.
Impromptus et lentes variations.
Je marche sur le fil étroit qui relie le caprice et la fidélité.
Tout ce que j'ai jamais créé a commencé sur un coup de tête.
Et je l'ai continué, parfois.
Quel sens cela peut-il avoir de perpétuer un caprice, de l'ancrer de le temps ? Comment prolonger ce qui est éphémère, imprévisible et insensé ?
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Depuis que j'en ai découvert l'existence, j'ai pris l'habitude de lire votre journal quotidiennement. Je suis surpris de constater combien nous pouvons nous ressembler à certains égards ; je ne l'avais encore jamais observé chez personne de ma connaissance (du moins sur ces points précis), peut-être en partie parce que certains types de réflexions sur soi émergent plus difficilement dans le cours d'une conversation que dans la solitude.
RépondreSupprimerJ'ajoute que je tiens un journal depuis environ un an : la récente fréquentation du vôtre stimule l'écriture du mien ainsi que les réflexions que je forme sur ma "pratique". Pour cela, je tiens à vous remercier et j'espère que vous ne vous arrêterez pas de sitôt.
"Ma beauté ... est une rumeur". C'est comme toujours très beau.
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