[Traduction] Angela Carter




ANGELA CARTER, Le Loup-garou (1979)




 
C’est un pays du Nord ; le climat est froid ; les cœurs sont froids.
    Froid ; tempête ; bêtes sauvages dans la forêt. La vie est dure. L’intérieur des maisons de bûches est sombre et enfumé. Toujours, vous y trouverez une grossière icône de la vierge derrière une chandelle vacillante, la patte d’un porc suspendue à des fins prophylactiques, un chapelet de champignons séchés.
    Pour ces gens des hautes terres recouvertes de forêts, le Diable est aussi réel que vous et moi. Plus encore : ils ne nous ont jamais vu, et ignorent même notre existence, mais le Diable, ils l’aperçoivent souvent dans les cimetières, ces lugubres et touchantes municipalités des morts, dont les tombes sont ornées des portraits des défunts dans un style naïf ; aucune fleur ne peut être déposée, aucune fleur ne pousse là, donc on dépose de petites offrandes votives, de petites miches de pain, parfois un gâteau que les ours viennent chaparder, s’approchant de leur pas lourd des marges de la forêt. À minuit, surtout la nuit de Walpurgis, le Diable organise des picnics dans les cimetières et invite les sorcières ; ils déterrent alors des cadavres encore chauds, et les mangent. Tout le monde vous le dira.
   Des gousses d’ail accrochées aux portes repoussent les vampires. Un enfant aux yeux bleus né les pieds devant la nuit de la Saint Jean sera doué de seconde vue. Quand on débusque une sorcière - une vieille femme dont les fromages, contrairement à ceux de ses voisins, sont affinés ; une autre dont le chat noir, oh, comme c’est sinistre ! la suit à peu près tout le temps, ils déshabillent la mégère, cherchent les marques du démon, la mamelle en trop, que tête son animal de compagnie. Ils la trouvent rapidement. Puis ils lapident la vieille à mort.
     Hiver et froid climat.
   Va rendre visite à grand-maman, qui a été malade. Apporte-lui les galettes d’avoine que j’ai cuites pour elle dans l’âtre, et un petit pot de beurre.
    La gentille petite fille fait ce que sa mère lui ordonne — huit kilomètres d’une marche pénible à travers la forêt ; ne quitte pas le chemin à cause des ours, du sanglier, des loups affamés. Tiens, prends le couteau de chasse de ton père ; tu sais comment t’en servir.
    L’enfant avait un manteau rugueux fait de peau de mouton, elle connaissait trop bien la forêt pour en être effrayée, mais elle devait toujours rester sur ses gardes. Quand elle entendit le hurlement glacial d’un loup, elle laissa tomber ses cadeaux, saisit son couteau et fit face à la bête.
     En c’en était une énorme, ses yeux étaient rouges, ses babines grisonnantes écumaient ; à sa vue, n’importe qui, sauf une enfant de montagnard, serait mort de peur. Elle essaya de l’attaquer au cou, comme le font les loups, mais la fillette brandit le couteau de son père vers elle et lui trancha la patte droite.
    Le loup poussa un cri, presque un sanglot, quand il vit ce qui lui était arrivé ; les loups sont moins courageux qu'il n'y paraît. Il s'en alla l’air abattu entre les arbres, boitant du mieux qu'il pouvait sur ses trois pattes, et laissant derrière lui une traînée de sang. L'enfant essuya la lame de son couteau sur son tablier, enveloppa la patte du loup avec le tissu dans lequel sa mère avait emballé les galettes d'avoine et se dirigea vers la maison de sa grand-mère. Bientôt, il se mit à neiger si abondamment que le sentier ainsi que toute trace, empreinte humaine ou animale, avaient été dissimulés.
   Elle trouva sa grand-mère si malade qu'elle s'était couchée dans son lit et s’était endormie d'un sommeil agité. À ses gémissements et ses tremblements, l'enfant devina qu'elle avait de la fièvre. Elle lui toucha le front, il était brûlant. Elle secoua le linge de son panier pour faire une compresse froide à la vieille femme, et la patte du loup tomba à terre.
    Mais ce n'était plus une patte de loup. C'était une main coupée au poignet, une main que le travail avait rendue calleuse, et le grand âge, tachetée. Il y avait une alliance sur le majeur et une verrue sur l'index. À la verrue, elle reconnut que c'était la main de sa grand-mère.
   Elle retira le drap, et c’est alors que la vieille femme se réveilla et se débattit, poussant des cris plaintifs et aigus comme une créature possédée. Toutefois l’enfant était tenace, et elle était armée du couteau de chasse de son père ; elle réussit à maintenir sa grand-mère à terre assez longtemps pour constater d’où venait sa fièvre. À la place de sa main droite, il y avait un moignon ensanglanté, qui suppurait déjà.
  L'enfant se signa et cria si fort que les voisins l'entendirent et accoururent. Ils identifièrent tout de suite la verrue sur la main comme une mamelle de sorcière. Ils chassèrent la vieille femme, en simple chemise, dans la neige avec des bâtons, repoussèrent sa vieille carcasse de leurs coups à la lisière de la forêt, et lui jetèrent des pierres jusqu’à ce qu’elle s’effondre, morte.
     L'enfant vécut dorénavant dans la maison de sa grand-mère ; elle fut heureuse.
 



Traduit par Laumė
 






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