L'aubépine
Isis
Monstre dormant
Au lit de la princesse
Mes morts viendront s'échouer au bord de mes lèvres
Ma bouche leur donnera asile
Comme autrefois les papyrus
J’ai une chevelure pour habiller les absents
Des mains moites d’argile
Et des yeux noirs
Pour rendre aux spectres leur sexe
Ainsi peuplerai-je la nuit
Des palais aux iris brisés
Mais pour les vivants
Il n'y a rien que je puisse faire
*******
Daphné
Puis ...
Epuisé les yeux lourds
Il me dira
Réveille-toi
Il est l'heure
Dans mes paumes
Le jour plante ses dents
Regarde
Il n'est déjà plus temps
Ta chair devient feuilles
Entre mes mains tu n'es plus rien
Qu'un bruissement
*******
Cassandre
Enfant, elle ne savait pas fixer l'objectif
Des appareils photos, ce qui donne
À son regard un aspect étrangement vide
Sur les images d'alors. Jeune femme,
Elle ferme souvent les yeux, surtout
Quand elle ment. Et dans l'épaule aimée
Elle vient appuyer son front, paupières
Baissées, comme s'il fallait lui pardonner.
Un film tourne sans cesse au fond
De ses pupilles. Un film en noir et blanc.
Elle se demande d'où proviennent
Ces larges plans cendrés : de la mémoire
Très ancienne (ce qu'une vie antérieure
N'aurait pas oublié), ou de l'avenir, elle ne
Sait. Peut-être est-ce le présent. Le seul
Présent qui soit : celui des catastrophes.
*******
Le poème
Je suis la cicatrice et son éclat
d'argent, sur la table de l'hôpital.
Les doigts gantés de blanc,
et les lames affûtées. Au reflet
d'un miroir, une peau mutilée.
Je suis le corps ouvert et le métal
qui tranche, incise, élargit et
arrache. J'ai des mains qui
guérissent. Quand l'opération
se termine, je range mes outils.
Je deviens mon propre salut.
Je me referme comme un secret.
*******
Eurydice
Quand on est jeunes, on est simplement jeunes ; quand on l'est moins, on appartient à une génération. Quelle est la nôtre ? J'en cherche les signes. Nous n'avons pas d'enfants, ne sommes pas heureuses au travail, ou n'avons pas de travail. La beauté nous fait pleurer bêtement, et nous nous essuyons les yeux avec un sourire désolé. Nous sommes pour ainsi dire supplémentées par des machines. Nous ne sommes pas nostalgiques, et n'espérons rien de l'avenir. Nous sommes envahies de présent, si bien qu'il m'a fallu du temps pour savoir que je t'aimais. Nous ne cheminons pas ensemble, mais je crois que nos ombres, oui, et peut-être nos rêves, si nous avions des rêves. Une nuit, je suis devenue vieille, je me suis sentie couler à l'époque de mes arrière-grands-parents, quelque part sur une île grecque. Il y avait un mariage où seule l'épouse se tenait devant l'église à même la roche, une petite église blanche. Elle n'attendait personne. Les ancêtres l'entouraient en silence, et néanmoins sans solennité : comme dans un film auquel on aurait coupé le son, ou bien du cinéma muet. Sous la voilette légère, il m'a semblé te reconnaître.
*******
L’ancien oiseau voyageur
Sous mon corps blessé,
je couve l'espace,
le temps
de violences anciennes.
De mon bec vide,
sont sortis
l’ivraie de la tristesse,
et les fruits amers
d’un rameau.
Certains matins des rêves
viennent ici se perdre
comme
des psaumes
qu'il faut raccommoder.
Un jour s’envoleront-ils
vers le lieu d'où aucune
lettre
ne me revient ?
*******
Hespérides
Il pleut des feuilles comme de petites
Pommes d'or sur les pelouses ;
Le vent tentateur étreint doucement
Les branches, et mon corps épuisé.
Quelles vaines attentes aurons-nous
Conçues, cet été encore ?
Quels espoirs envolés avant l'heure ?
Un amoureux chuchotait :
"Il faut apprendre à partir" ; je suis
Toujours assise sur le seuil.
*******
Narcisse
Il rit de sa propre nuit et l'écho lui répond
Avec un brasier d'aromates.
Contre la neige il avait coupé ces herbes,
Par superstition. L'amour lui en a demandé
L'obole. Depuis, tout brûle,
Sous une voûte invisible à ses yeux dilatés.
*******
Philomèle
Mutilée corps et âme
sans langue et seul témoin
de moi-même
au secret
j’ai ourdi mon chant
de mes ruses
me taire impossible
tout autant que parler
nul chant qui ne soit césure
*******
Décembre
L'hiver est plein d'épines, même si la forêt est lointaine.
Il y a des épines sur le bout de nos doigts, et un sommeil nous guette.
Il y a des épines dans nos gorges. Les voix ont l’odeur des pianos quand on ouvre leur aile noire.
Il y a des épines dans les yeux des passants.
Dans la charité publique.
Dans l'éclat des guirlandes.
Nous sommes des jésus grelottants, qui cherchent leur couronne.
Une épine rêve de sa rose, et la rose dort sous le givre.
*******
Quand tu reviendras me voir (si tu reviens un jour),
ne t'annonce pas. Ne frappe pas à ma porte,
ni n'appelle, ni ne sonne. Le verrou n'est pas tiré.
Ma porte bat au vent, de sorte qu'il y entre
des animaux errants, hermines, chats et renards.
N'hésite pas sur le seuil pour chercher tes paroles.
Avance comme autrefois jusqu'à la chambre,
fantôme auquel la mort n'a pas fait perdre
ses habitudes. Embrasse-moi d'un long sommeil.
*******
Bethsabée
Qu’as-tu à m’épier, dans le reflet
de mon bain ? Déjà tu jures
que tu me posséderas ;
même à quelques mètres de toi,
sans entendre un son
prononcé par ta bouche, je le sais.
Je sais aussi que tu seras prêt à tuer
pour l’image tremblante
d’une femme inconnue.
Qu’avez-vous tous à me regarder ?
Mon père, mon frère,
et le vieux roi, et ses servants,
qui vous a autorisés
à porter sur mon corps vos yeux
impurs ? À profaner
la solitude recueillie de ma nudité ?
*******
Autobiographie du Christ
Je suis né dans une ville de la Baltique ou de l'Adriatique, dans une masure bleue ou blanche comme un monastère troglodyte. La banquise léchait le seuil, ou bien était-ce le vent. Nonno fumait le cigare dans une boutique de sardines, mais peut-être était-ce un temple. Il passait pour le rejeton d'une dynastie éteinte. Il jetait son filet à la mer pour ne garder que le sel. Matka parlait l'araméen, cela semble avéré. Une humble paysane, si ce n'était une princesse. Elle fuyait un massacre : l'attestait une cicatrice causée par un couteau, ou un tir de mortier. Elle savait porter un fusil. J'étais moi-même un fusil. Elle m'avait caché dans ses jupes, avant d'imaginer le prodige de ma naissance. Tout le monde l'a crue.
*******
Orphée
De l'obscurité tu es issue, à l'obscurité tu retournes, voix orpheline. Corps déchiré, lambeaux, entrailles. Aucun secours dans la médecine que l'on t'avait transmise : les Enfers ne sont franchis que dans la solitude. Même toi qui avais deux épouses, la lumineuse qui recule et la sombre qui s'avance. De la perte les chiens t'ont appris la magie, celle du monde souterrain où ils peuvent nous guider. N'as-tu pas toujours été morte, âme en peine, passeuse ? Et nous te dévorons pour les siècles et des siècles. De l'obscurité tu es issue, à l'obscurité tu retournes, voix orpheline.
*******
Ta beauté me saisit comme le bec cruel d'un oiseau.
Tu as des airs de rapace, avec tes yeux perçants et ton nez recourbé, créature nocturne qui m'observe patiemment.
Je ne sais où tu vis. Dans une chambre sous les toits, ou dans les arbres hauts ?
Je ne sais si tes manières sont de mauvais augure.
Je rêve parfois que tu m'enlèves, tes serres enfoncées d'un seul coup dans ma chair.
C'est ainsi que je t'aime : sans douceur, abritée sous tes atours d'oiseau calme, obscure.
*******
Miroitement
Tu sais que la joie est miroitement
Sur une eau de tristesse
Que balbutient tes lèvres froides ?
Un empressement à vivre
Qui s'éteint et s'éveille
Légèreté de ta parole cernée de nuit
Dansant au bord
D'une extase impossible
Tu sais que la joie est miroitement
Sur une eau de tristesse
Que balbutient tes lèvres froides ?
Un empressement à vivre
Qui s'éteint et s'éveille
Légèreté de ta parole cernée de nuit
Dansant au bord
D'une extase impossible
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L'ogresse
Demain quelques pétales
Seront les traces
De son repas funeste.
Elle avance affamée,
Les dents luisantes.
Le jardin qui repose
Frémit de peur
En sentant sa présence,
Et son haleine
Qui s'épand doucereuse,
Tandis qu'elle courtise
Sur l'herbe tendre
Le cœur sanglant des roses.
L'ogresse
Demain quelques pétales
Seront les traces
De son repas funeste.
Elle avance affamée,
Les dents luisantes.
Le jardin qui repose
Frémit de peur
En sentant sa présence,
Et son haleine
Qui s'épand doucereuse,
Tandis qu'elle courtise
Sur l'herbe tendre
Le cœur sanglant des roses.
*******
Hélène de Troie
Si blanche que je suis devenue
Si blanche que je suis devenue
moins que le voile
éblouissant dont vous m’aviez couverte,
doucement, je me suis dérobée
à vos mains ravisseuses
qui me cherchent désormais parmi les statues.
La faute n’est pas mienne
dont on me déclara la cause
pour fournir un prétexte à la violence des hommes.
Femme-cygne, je suis blanche comme un reflet
pris dans les eaux, comme la lune qui s’efface
en plein jour.
Le vent seul pleurera ma perte.
*******
Le vagabond
Reviendras-tu
Blanchir de tes pas
Ma nuit ?
Où flânes-tu donc
Nomade ?
Jusqu'à l'aurore
J'ai veillé
À rompre la lune
De pain noir
Pour la tendre
À ton cœur mendiant
*******
fermentent les menus indices
le grain pour les cérémonies
riches de nuit de nostalgie
auxquelles ma patience puise
je sers la trembleuse l'exquise
eau du passé chère eau de vie
mais je ne bois jusqu'à la lie
pour garder trace du délice
dépôt du temps dont me grise
*******
Comme après la pluie,
L'amour
Et son abandon.
Ta peau exhale
Une odeur de jacinthe
Coupée, ta bouche
A un goût d'insomnie,
Tiède et âpre
Comme l'eau d'été.
*******
Ma sœur étrange appelée l'Agathe, tu embarqueras seule par hérésie d'amour. Heureuse, ma sœur, à l'énigme tremblante.
Durant la traversée, tu sentiras l'île que tu portes, voisine du cœur et du poumon, âme lovée dans le ventre.
Dans le plus intime d'elle, tu trouveras, jubilante, une sorte de nid, mais oui Agathe, hors d'elle en toi, hors de toi en elle.
Durant la traversée, tu sentiras l'île que tu portes, voisine du cœur et du poumon, âme lovée dans le ventre.
Dans le plus intime d'elle, tu trouveras, jubilante, une sorte de nid, mais oui Agathe, hors d'elle en toi, hors de toi en elle.
*******
Seul le bonheur -
Bruissement de la nuit sensible,
Ou le dimanche du cœur.
Stable dans l'eau salée, en équilibre,
Tout à la fin de l'attente, luit
Entre les étoiles, le bel-individuel
Qui en émane
Premier ou dernier brin d'un éclair, plein!
*
Noir vergé de la vie utérine,
A présent pour tout dire
De l'arbre aux baies charnelles -
L'aventure du cœur au cœur de l'autre,
J'ai volé le printemps à la cime.
Bruissement de la nuit sensible,
Ou le dimanche du cœur.
Stable dans l'eau salée, en équilibre,
Tout à la fin de l'attente, luit
Entre les étoiles, le bel-individuel
Qui en émane
Premier ou dernier brin d'un éclair, plein!
*
Noir vergé de la vie utérine,
A présent pour tout dire
De l'arbre aux baies charnelles -
L'aventure du cœur au cœur de l'autre,
J'ai volé le printemps à la cime.
*******
Sept
Je cache dans mes bottes sept
lieues de colère, sept chambres
de Barbe-Bleue. Sept fils
qui ne naîtront pas. Le père
tourne sept fois sa langue d'ogre
dans sa bouche. Sept fois sept fois
sept mots ricochent contre le cuir.
Question d'arithmétique. Les mots
tus se démultiplient, et la colère
aussi. Je soigne sept couples
de pigeons aux ailes ensanglantées
dans l'arche de mes bottes.
À leur bague est attachée
la nouvelle de mes morts.
Le septième jour, je ressuscite.
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